Epilogue des noyés
epilog-noyes-bandeau-siteUlime ka una mba
La langue n’a pas d’os

Qu’auraient dit ceux qui à un moment donné ont la langue coupée, la gorge nouée par les lois de l’immigration, ceux qui à bord d’embarcations de fortune, à bord des kwassa-kwassa, tentent d’atteindre l’autre rive, ceux qui crèvent devant leurs rêves dans la parenthèse des frontières ? Dans l’Epilogue des noyés, ce sont les voix des cadavres des noyés du kwassa-kwassa qui se lèvent depuis les plages des Comores où ils se décomposent pour dire aux vivants muets un mal de notre temps …
Alain Kamal Martial


(…)

C’était un coup de matraque à la nuque et mon front en avant plongé dans l’eau verte de sel ou dans la mare rouge de mon sang, j’ai vu mes noyés dans la mare rouge de mon sang, mes noyés flottent dans l’eau verte de sel ou dans la mare rouge de mon sang, un filet de sang à leurs narines et à leurs oreilles, l’eau de sel ou la mare de mon sang pénètre leurs orifices, ils sont là leur mort posée à côté de ma mort qui attend mon instant, leurs rêves décomposés à côté de nos rêves composés que je recompose et pose : j’atteindrai l’autre rive ! Je franchirai le front… de mer. Je vendrai au marché.

Je vous parle de mes noyés toussant leur suffocation et leurs yeux blancs exorbités, ce n’étaient plus leurs yeux, c’étaient des tissus de chair dilatés et des veines remplies d’eau de sel ou de la mare de mon sang, leurs yeux hurlaient un cri de strangulation, un vagissement de rupture de la gorge, un cri assourdi d’égorgement et le bruit de la chasse d’eau qu’on tire… j’ai vu leurs bouches, elles étaient béantes, larges comme des parenthèses, ouvertes, j’ai vu mes noyés, le blanc de leurs yeux et leur langue longue et renversée… nous étions encore cinquante flottant comme des selles dans les eaux des latrines, puis on tire la chasse d’eau,

puis quarante neuf,

puis quarante huit,

puis quarante sept…

Ils se sont noyés dans l’eau de sel ou dans mon sang leur langue retournée, je les ai comptés de un à moi, ils se sont noyés comme les selles dans les eaux chassées des latrines, je les ai comptés un œil dans leurs quatre-vingt dix huit yeux blancs et l’autre œil sur terre d’en face, mes yeux furent un pont entre les rives du marché que nous voulions atteindre et les quarante neuf noyés avalés par le gosier du lagon comme les selles au fond des latrines. Leurs yeux étaient blancs et leur langue longue pendante renversée.

Les yeux blancs des noyés me regardent, les visages des noyés me suivent encore, leur langue renversée, leur corps déjà remplis d’eau, ils sont lourds.

Combien se sont noyés ici ?

Combien ?

Ils ne me lâcheront pas les yeux de mes noyés, ils sont dans mes yeux, ils ont l’eau dans la bouche, des maillons de visages noyés, des maillons de langues pendantes renversées, des maillons de noyés morts insoupçonnés se posent sur mon visage.

Des enfants, filles et garçons, des pères, des mères, des jeunes gens aux visages sans rides, nos femmes enceintes, ils ne me lâcheront pas mes noyés morts, ils ne me lâcheront pas, les visages de mes noyés morts ne me lâcheront pas…
Alain Kamal Martial

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DISTRIBUTION

Epilogue des noyés

texte Alain Kamal Martial
commande d’écriture de notoire / de l’étranger(s), Paris

mise en scène Thierry Bedard
avec Hamza Hamada Mounir et anonymes

images Frédéric Bouvier
d’après un reportage tourné la nuit au large d’Anjouan et Mayotte, le 29 octobre 2005.

création sonore Jean Pascal Lamand
vidéo Olivier Heinry / Romain Chantereau

journal Thérèse Troïka


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PRODUCTION

notoire / de l’étranger(s), Paris

Centre Dramatique de l’océan Indien
Service culturel de la Collectivité Départementale de Mayotte
Compagnie IstaMbul (Mayotte)
Avec le soutien du Fonds d’échanges artistiques et culturels pour l’Outre-mer
et le soutien pour la reprise du Centre Culturel André Malraux/Vandoeuvre les Nancy

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BONUS

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