Des ruines…

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Avia eky!
Aza ela ‘nao. Koesy!


Venez seulement! Ne tardez pas à venir. Koesy!

Dans les chants de guérison, il faut appeler « l’esprit » et accélérer le rythme de la musique
.

J’en ai assez de parler, j’en ai assez d’évoquer ce que tous savent, assez de faire de ma bouche l’entrepôt des mots sales, charriés des lâchetés. Je voudrais me poser un peu, me tenir loin de la nausée, mais je suis trop près de moi encore, trop près de l’humain…
Raharimanana


« Il se révolte contre l’histoire : je le répète, cette position est intenable. Il se condamne à la louange de ceux qui ne l’entendent pas, à la haine de ceux qu’il voudrait convaincre. Il ne peut trouver ni assise ni réponse. L’inévitable vide où il se débat le voue au mépris de lui-même. Il doit cependant s’obstiner parce qu’il n’est rien aujourd’hui de plus révoltant que la démesure de l’histoire. »

Georges Bataille. A propos d’Albert Camus

Je ressens avec une très grande violence ces quelques mots, écrits après la parution controversée de « L’homme révolté », et j’ai le sentiment de les partager avec Jean Luc Raharimanana – un lien indicible. S’approprier les mots des autres est le commun des metteurs en scène. Mais étonnement le sens de cette « critique » est certainement la raison même de notre rencontre. Et le sujet – singulier ? – de notre travail.

Des ruines …

Une langue inouïe, chargée de rage et de révolte, puis de douleur, pour avouer sans honte l’envie de s’éloigner de ce monde insensé, de se sauver (!) …

De toutes nos forces. Avec nos rires insupportables et nos larmes …

Thierry Bedard

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EXTRAIT


Sur le temps, je me retourne, c’est ainsi que je me vois, je suis fatigué d’espérer, mes mots essaimés tout le long mon espérance, mes combats, je retiens mon souffle de peur de les rendre soupirs, je chuchote, je murmure, et l’on me félicite de l’originalité de ma langue, « flamboyante », « lyrique », « violente »… je parlais d’une douleur, de ceux qui y sont encore, dans la douleur, je parlais d’une révolte, j’amasse les honneurs pour m’être si bien exprimé…

(Applaudissez !)

*

Sourire.
Ne pas me souvenir du passé.
Ne pas assener des coups d’état à mon présent.
Arrêter de parler de colonisation ou d’esclavage.
Me regarder en face et arrêter de me prendre pour un blanc.
Sourire.
Surpasser l’état naturellement tragique et cruel de mon histoire (sinon choper la mouche tsé-tsé pour oublier tout ça et dormir comme un bon sauvage au pied de mon baobab où ne nichent pas des singes capables de me jeter à la figure leurs noix de coco de merde).
Ne pas me demander comment diantre fichtre merdre des singes ont pu se procurer des noix de coco dans un baobab…
et surtout des noix de coco made in China.
Effacer d’un coup de fétiche magique les siècles de domination, de massacre et de déportation.
Comme ça…
Fétiche…
Masque…
Gris-gris…
Sourire.
Oublier les assassinats des Lumumba, des Olympio, des Sankara, des Ratsimandrava, des Soilih, oublier Ruben, Ruben Um Nyobe, Mehdi Ben Barka…
Que ces noms pour personne, j’ai dit que ces noms…
Glorifier Mandela.
Mandela.
Mandela.
Mandela.
Ô Digne papa d’Obama.
Sourire.

*

Sur le silence l’espace que je me dois d’investir. Sur le silence car je n’ai pas su m’y prendre au beau milieu de cette indépendance qu’on m’aurait donnée, sur ces aides qu’on m’aurait octroyées, sur ces assistances prodiguées. Voyez les mots : donné –don, octroyé –octroi, prodigué –prodige, d’une sacralité telle qui efface les crimes des ans. D’une sacralité que je n’ai pas pu saisir, comment n’ai-je pas su profiter de tout cela ? Jusqu’au don ? Jusqu’à l’octroi ? Jusqu’au prodige ? Je n’ai plus qu’à me taire pour ne pas avoir saisi tout cela ! Est-il possible de m’offrir plus que des prodiges ?

Que l’esclavage finalement, que la colonisation finalement, que ces siècles de douleur finalement, étaient peut-être mieux pour moi, moi qui ne saurai jamais me prendre en charge ? Regardez où j’en suis maintenant… Ruines.

Etrange comme le bourreau de ces siècles, par le miracle du don et du prodige s’est mué en sauveur impuissant (…)

Pour ne point rajouter à la douleur de l’Occident, je me dois d’être sans mémoire,
sans mémoire pour rappeler,
sans mémoire pour dire,
sans mémoire pour contester,
sans mémoire pour recréer,
mon passé n’a pas de bouche,
pas d’entendement …

Ou alors, crier ensemble, se scandaliser…

J’en ai assez de parler, j’en ai assez d’évoquer ce que tous savent, assez de faire de ma bouche l’entrepôt des mots sales charriés des lâchetés. Je voudrais me poser un peu, me tenir loin de la nausée, mais je suis trop près de moi encore, trop près de l’humain…

Je le reconnais, nous sommes tous des êtres humains, près de nos vies, près de nos corps, près de nos sangs, près du souffle qui nous éparpille et retenant nos débris par tous nos muscles, nerfs et autres fibres relieuses. Respirer nous éparpille, l’air qui nous fend et nous traverse, l’haleine de l’autre qui nous pénètre et sa vie qui nous perce…

Nous retenons ce qui nous relie, nous repoussons ce qui nous délie. Nous retenons la chair ferme et la vie pleine, nous repoussons la chair désagrégée et les ruines évidentes. La compassion comme échos de la douleur de l’autre, une acceptation de ses ruines, le miroir de notre propre fragilité. Mais reconnaître cela, notre fragilité, nous amène aussi à la passion de la vie, à l’inacceptable mortalité qui nous constitue, inacceptable savoir, inacceptable…

Et, je.

Je suis encore debout. Des paroles figées dans la décrépitude magnifique. Cette simple conscience que la vie est encore érigée dans l’instant, qu’importent les poussières qui tombent de mes ruines, vivre est toujours laisser une part de soi à la mort.

C’est de là que j’écris…

De mes ruines.

 

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DISTRIBUTION

Des Ruines…
de Raharimanana
commande d’écriture notoire / de l’étranger(s)

mise en scène Thierry Bedard

création sonore Jean-Pascal Lamand

lumières Jean-Louis Aichhorn

avec Phil Darwin Nianga


journal Agence Thérèse Troïka

Jean Luc Raharimanana est actuellement artiste associé à Athénor, Scène Nomade de Nantes, dans le cadre des Chantiers Histoires et Langues du Monde dans le Quartier Bellevue à Nantes et auteur associé au Forum de Blanc Mesnil.


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PRODUCTION

notoire / de l’étranger(s) – Paris

Athénor, Scène nomade de Nantes

Le Forum, Scène conventionnée de Blanc-Mesnil


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BONUS

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ACTUALITE

Des ruines…
Théâtre Les Bambous / St Benoît / La Réunion
23 et 24 mai, 30 mai

Médiathèque / Le Tampon / La Réunion
28 mai

 

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pictos
{> sons / vidéos / photos

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